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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/21

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LE ROMAN D’UN ENFANT

nelle l’avait arrangée lorsqu’elle s’était décidée à quitter l’île pour venir se fixer sur le continent. — Je reparlerai un peu plus tard de cette île qui prit bientôt, pour mon imagination d’enfant, un attrait si mystérieux. — C’était une maison de province très modeste, où se sentait l’austérité huguenote, et dont la propreté et l’ordre irréprochables étaient le seul luxe.)

… Dans le cercle lumineux qui, décidément, se rétrécissait de plus en plus, je sautais toujours. Mais, tout en sautant, je pensais, et d’une façon intense qui, certainement, ne m’était pas habituelle. En même temps que mes petites jambes, mon esprit s’était éveillé ; une clarté un peu plus vive venait de jaillir dans ma tête, où l’aube des idées était encore si pâle. Et c’est sans doute à cet éveil intérieur que ce moment fugitif de ma vie doit ses dessous insondables ; qu’il doit surtout la persistance avec laquelle il est resté dans ma mémoire, gravé ineffaçablement. Mais je vais m’épuiser en vain à chercher des mots pour dire tout cela, dont l’indécise profondeur m’échappe… Voici, je regardais ces chaises, alignées le long des murs, et je me rappelais les personnes âgées, grand’mères, grand’tantes et tantes, qui y prenaient place d’habitude, qui tout à l’heure viendraient s’y asseoir… Pour-