Aller au contenu

Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
LE ROMAN D’UN ENFANT

ordres, les gens, les bêtes et les granges. Et un de nos amusements favoris pendant cette fin de vacances fut de construire d’énormes ballons de papier, de deux ou trois mètres de haut, que nous gonflions en brûlant au-dessous des gerbes de foin, et puis que nous regardions s’élever, partir, se perdre au loin dans les champs ou les bois.

Mais ces petits de Sainte-Hermangarde étaient, eux aussi, des enfants un peu à part, élevés par un précepteur dans des idées différentes de celles qui se prennent au lycée ; quand il y avait divergence d’avis entre nous pour ces jeux, c’était à qui céderait par courtoisie ; et alors leur contact ne pouvait guère me préparer aux froissements de l’avenir.

Or, un jour, ils vinrent gentiment me faire cadeau d’un papillon fort rare : le « citron-aurore », qui est d’un jaune pâle un peu vert, comme le « citron » commun, mais qui porte, sur les ailes supérieures, une sorte de nuage délicieusement rose, d’une teinte de soleil levant. C’était, disaient-ils, dans leur domaine de Bories, sur les regains d’automne, qu’ils venaient de le prendre — avec tant de précautions du reste qu’aucune trace de leurs doigts n’apparaissait sur ses couleurs fraîches. Et quand je le reçus de leurs mains, vers midi, dans le vestibule de la maison de mon oncle, toujours fermé dans la journée