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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/24

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LE ROMAN D’UN ENFANT

me rassurait plus. Les chaises même, les chaises rangées autour de la salle, commençaient à m’inquiéter, à cause de leurs grandes ombres mouvantes qui, au gré de la flambée à l’agonie, montaient derrière elles, exagérant la hauteur des dossiers le long des murs. Et surtout il y avait une porte, entr’ouverte sur un vestibule tout noir — lequel donnait sur le grand salon plus vide et plus noir encore… oh ! cette porte, je la fixais maintenant de mes pleins yeux, et, pour rien au monde, je n’aurais osé lui tourner le dos.

C’était le début de ces terreurs des soirs d’hiver qui, dans cette maison pourtant si aimée, ont beaucoup assombri mon enfance.

Ce que je craignais de voir arriver par là n’avait encore aucune forme précise ; plus tard seulement, mes visions d’enfant prirent figure. Mais la peur n’en était pas moins réelle et m’immobilisait là, les yeux très ouverts, auprès de ce feu qui n’éclairait plus, quand tout à coup, du côté opposé, par une autre porte, ma mère entra… Oh ! alors je me jetai sur elle ; je me cachai la tête, je m’abîmai dans sa robe : c’était la protection suprême, l’asile où rien n’atteignait plus, le nid des nids où l’on oubliait tout…

Et, à partir de cet instant, le fil de mon souvenir est rompu, je ne retrouve plus rien.