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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/277

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LE ROMAN D’UN ENFANT

je saluai les premières paysannes portant sur la tête les grands vases de cuivre, les premiers paysans bruns parlant patois, le commencement des terrains couleur de sanguine et des genévriers de montagne…

Vers le milieu du jour, pendant une halte pour faire reposer nos chevaux au creux d’une vallée d’ombre, dans un village perdu appelé Veyrac, nous nous assîmes au pied d’un châtaignier, — et là nous fûmes attaqués par les canards de l’endroit, les plus hardis, les plus mal élevés du monde, s’attroupant autour de nous avec des cris de la plus haute inconvenance. Au départ donc, quand nous fûmes remontés dans notre voiture, ces bêtes s’acharnant toujours à nous poursuivre, ma sœur se retourna vers eux et, avec la dignité du voyageur antique outragé par une population inhospitalière, s’écria : « Canards de Veyrac, soyez maudits ! » — Même après tant d’années, je ne puis penser de sang froid à mon fou rire d’alors. Surtout je ne puis me rappeler cette journée sans regretter ce resplendissement de soleil et de ciel bleu, comme à présent je ne sais plus en voir…

À l’arrivée, nous étions attendus sur la route, au pont de la rivière, par nos cousins et par les petits Pevral qui agitaient leurs mouchoirs.