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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/51

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LE ROMAN D’UN ENFANT

soin de lui expliquer à mesure. Et, de fait, les explications devaient être nécessaires, car j’exécutais deux compositions de sentiment que j’intitulais, l’une, le Canard heureux ; l’autre, le Canard malheureux.

La chambre où cela se passait avait dû être meublée vers 1800, quand s’était mariée la pauvre très vieille grand’mère qui l’habitait encore et qui, ce soir-là, assise dans son fauteuil de forme Directoire, chantait toute seule sans prendre garde à nous.

C’est confusément que je m’en souviens de cette grand’mère, car sa mort est survenue peu après ce jour. Et comme je ne rencontrerai même plus guère son image vivante dans le cours de ces notes, je vais ouvrir ici une parenthèse pour elle.

Il paraît que jadis, au milieu de toute sorte d’épreuves, elle avait été une vaillante et admirable mère. Après des revers comme on en éprouvait en ces temps-là, ayant perdu son mari tout jeune à la bataille de Trafalgar, et ensuite son fils aîné au naufrage de la Méduse, elle s’était mise résolument à travailler pour élever son second fils — mon père — jusqu’au moment où, lui, avait pu en échange l’entourer de soins et de bien-être. Vers ses quatre-vingts ans (qui n’étaient pas loin de sonner quand