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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 10.djvu/162

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et sans style et qui pourtant me saisit d’un autre frisson.

C’était encore Velléda qui parlait :

« Pourquoi m’as-tu traitée avec tant de douceur ? Je suis vierge, vierge de l’île de Sayne. Que je garde ou que je viole mes vœux, j’en mourrai. Tu en seras la cause. Voilà ce que je voulais te dire. Adieu. »

Je relisais lentement, en essayant d’analyser ce que j’éprouvais : une impression de dissonance. « Voilà ce que je voulois te dire ». Comment cette petite banalité s’introduisait-elle dans le récit ?… Il y avait là une cassure… Un sentiment, d’abord très vague dans mon esprit, se dessina peu à peu, hésita, s’offrit, s’imposa tout à coup : — la phrase n’était pas de Châteaubriand.

Non, elle n’était pas de lui. Il avait arrangé le début et, pour le travestir, ajouté « l’île de Sayne » ; mais maintenant je voyais clairement ce n’était pas de son style et je le détachais du reste : « Que je garde ou que je viole mes vœux, j’en mourrai. Tu en seras la cause. Voilà ce que je voulais te dire. Adieu.

Mais si elle n’était pas de lui, de qui était-elle, cette phrase terrible ?

D’un autre écrivain ? Hypothèse absurde, ne méritait pas d’être examinée. — Non.

C’était une phrase que Châteaubriand avait entendue ; une phrase inoubliable qu’on lui avait dite à lui-même. Je le sentais ; J’en étais sûr.

À certaines étapes du raisonnement, la pensée