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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/178

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tence de ce soir-là. Mais Chrysis ne le laissait pas faire.

Il y eut quelques instants de silence.

Puis Séso reprit la parole :

« Timon, tu es bien fâcheux d’interrompre dès le début la seule causerie sérieuse dont le sujet nous puisse toucher. Laisse au moins parler Naucratès, puisque tu as si mauvais caractère.

— Que dirai-je de l’Amour ? répondit l’Invité. C’est le nom qu’on donne à la Douleur pour consoler ceux qui souffrent. Il n’y a que deux manières d’être malheureux : ou désirer ce qu’on n’a pas, ou posséder ce qu’on désirait. L’amour commence par la première et c’est par la seconde qu’il s’achève, dans le cas le plus lamentable, c’est-à-dire dès qu’il réussit. Que les dieux nous sauvent d’aimer !

— Mais posséder par surprise, dit en souriant Philodème, n’est-ce pas là le vrai bonheur ?

— Quelle rareté !

— Non pas, — si l’on y prend garde. Écoute ceci, Naucratès : ne pas désirer, mais faire en sorte que l’occasion se présente ; ne pas aimer, mais chérir de loin quelques personnes très choisies pour qui l’on pressent qu’à la longue on pourrait avoir du goût si le hasard et les circonstances faisaient qu’on disposât d’elles ; ne jamais parer une femme des qualités qu’on lui souhaite, ni des beautés dont elle fait mystère, mais pré-