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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/191

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saient des couples nus. Aux carrefours, sur des tréteaux bas rangés devant les maisons, des paillasses multicolores criaient et fluctuaient dans l’ombre, sous un double poids humain. Chrysis marchait avec un trouble. Une femme sans amant la sollicita. Un vieillard lui tâta le sein. Une mère lui offrit sa fille. Un paysan béat lui baisa la nuque. Elle fuyait, dans une sorte de crainte rougissante.

Cette ville étrangère dans la ville grecque était pour Chrysis pleine de nuit et de dangers. Elle en connaissait mal l’étrange labyrinthe, la complexité des rues, le secret de certaines maisons. Quand elle s’y hasardait, de loin en loin, elle suivait toujours le même chemin direct vers une petite porte rouge ; et là, elle oubliait ses amants ordinaires dans l’étreinte infatigable d’un jeune ânier aux longs muscles qu’elle avait la joie de payer à son tour.

Mais ce soir-là, sans même avoir tourné la tête, elle se sentit suivre par un double pas.

Elle pressa vivement sa marche. Le double pas se pressa de même. Elle se mit à courir ; on courut derrière elle ; alors affolée, elle prit une autre ruelle, puis une autre en sens contraire, puis une longue voie qui montait dans une direction inconnue.

La gorge sèche, les tempes gonflées, soutenue