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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/219

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peuple, tu possèdes une moitié du monde, tout ce qui n’est pas Rome est à toi, tu règnes sur le Nil et sur toute la mer, tu règnes même sur le ciel puisque tu parles aux dieux de plus près que personne, et tu ne peux pas régner sur l’homme que tu aimes ?

— Régner… dit Bérénice en baissant la tête, c’est facile à dire, mais vois-tu, on ne règne pas sur un amant comme sur un esclave.

— Et pourquoi pas ?

— Parce que… mais tu ne peux pas comprendre… Aimer, c’est préférer le bonheur d’un autre à celui que jadis on voulait pour soi-même… Si Démétrios est content, je le serai, même en larmes, et, loin de lui… Je ne puis pas désirer une joie qui ne soit pas en même temps la sienne, et je me sens bienheureuse de tout ce que je lui donne.

— Tu ne sais pas aimer, dit l’enfant.

Bérénice lui jeta un regard attristé, puis elle étendit ses deux bras raidis de chaque côté de sa couche et gonfla sa poitrine en cambrant les reins :

« Ah ! petite vierge présomptueuse ! soupira-t-elle. Quand tu seras évanouie pour la première fois au milieu d’une étreinte aimante, alors tu comprendras pourquoi on n’est jamais la reine de l’homme qui vous la donne.

— On l’est quand on le veut.