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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/60

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tère et l’ordonnance de sa vie, il se sentit envahi d’impuissance et cloué sur la place où pesaient ses pieds.

Comme il ne pouvait plus cesser de songer à cette femme, il tenta de s’excuser lui-même de la préoccupation qui venait le distraire si violemment. Il crut admirer son gracieux passage par un sentiment tout esthétique et se dit qu’elle serait un modèle rêvé pour la Charité à l’éventail qu’il se projetait d’ébaucher le lendemain.

Puis soudain, toutes ses pensées se bouleversèrent et une foule de questions anxieuses affluèrent dans son esprit autour de cette femme en jaune.

Que faisait-elle dans l’île à cette heure de la nuit ? Pourquoi, pour qui sortait-elle si tard ? Pourquoi ne l’avait-elle pas abordé ? Elle l’avait vu, certainement elle l’avait vu pendant qu’il traversait la jetée. Pourquoi, sans un mot de salut, avait-elle poursuivi sa route ? Le bruit courait que certaines femmes choisissaient parfois les heures fraîches d’avant l’aube pour se baigner dans la mer. Mais on ne se baignait pas au Phare. La mer était là trop profonde. D’ailleurs, quelle invraisemblance qu’une femme se fût ainsi couverte de bijoux pour n’aller qu’au bain ?… Alors, qui l’attirait si loin de Rhacotis ? Un rendez-vous, peut-être ? Quelque jeune viveur, curieux de variété, qui prenait pour lit un ins-