Aller au contenu

Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peine à s’éteindre maintenant que la quarantaine me couvre d’une sauvegarde… Ne devinez pas encore : mon histoire n’est pas celle d’un amour malheureux ; non, non, je n’ai jamais aimé ; j’ai été vieille trop tôt, un soir, à dix-sept ans.

Écoutez-moi. Ce ne sera pas long.

Au fait… peut-être ne comprendrez-vous guère pourquoi un événement si banal, si connu, a dépouillé ma vie de toutes ses joies futures. Il s’agit d’un fait divers ; vous en lisez de semblables à la troisième page de tous les journaux, et je ne suis même pas l’un des personnages du récit que je vais vous conter. Si mon existence solitaire en a frissonné si longtemps, cela tient à ce que j’ai vu cette chose, vu de mes yeux, à un pas de ma personne. Vous qui l’entendrez comme une anecdote vous ne sentirez rien de ce que j’ai senti.


Mlle N… posa le front sur sa main et commença ainsi, le regard fixé à terre, sans jamais lever les yeux vers moi :

— Il y a vingt-cinq ans, ma mère et moi nous habitions un vieil hôtel particulier à l’ombre de Saint-Sulpice. Hôtel simple : ni cour, ni communs ; toutes les fenêtres sur la rue, mais la rue calme comme une allée de forêt.

Une nuit, en plein été, il faisait dans ma chambre une chaleur étouffante et je ne dormais pas. Ouvrir ma fenêtre, je n’osais, de peur de réveiller