Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/17

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particuliers : retrouvez donc un inconnu parmi trois millions d’hommes avec un pareil signalement ! Le costume n’était guère plus caractéristique. La canne seule… Eh bien ! elle vous a livré, cette canne que vous agitez d’une main nerveuse depuis que mon réquisitoire vous ennuie. Ne le niez pas, vous êtes l’Inconnu.

— Je suis l’Inconnu, oui Madame, j’avais toujours rêvé d’être l’Inconnu, le jeune Homme masqué, l’Épée du Mystère, la Main d’Ombre, le Chevalier du Lac. C’était ma vocation depuis mon berceau. Craignez que je ne disparaisse brusquement au milieu de la rue Piat avec une imprécation blasphématoire dans une odeur d’acide sulfureux.

— Écoutez-vous parler, je vous en supplie, et dites si je dois en croire mes yeux quand je vous rencontre un matin transformé en philanthrope dans un quartier de prolétaires ! »

Elle lui jeta un regard furtif et fut reprise du même fou rire qui deux fois déjà l’avait agitée.

— Je ris, dit-elle enfin, parce que je ne peux plus m’empêcher de penser à la soirée de Lady Willowwood où je vous ai vu cet hiver. Vous étiez sorti le premier du fumoir pour retrouver les dames dans le grand salon. Dès que vous avez été là, le ton de la conversation est devenu quelque chose d’affreux. Vous avez la réputation de conter, aux dames surtout, les histoires qui ne sont pas pour