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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/134

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Rouen. Nuit de Noël 87. De mon lit.

Nuit de Noël ! Le Réveillon ! Ah ! que je rage d’avoir dix-sept ans. Tant d’autres s’amusent à cette heure-ci ! Et devant mes yeux m’apparaissent toutes les petites chambres du bon Paris avec leur table servie, le gaz éteint, et leurs chauds canapés avec des corps roses de jeunes filles, les joues rouges et les lèvres en feu, couchées à plat sur leurs beaux cheveux de Parisiennes.

Tout cela n’a rien de mal, mon Dieu ! Dieu a créé la femme comme elle est, éblouissante et divine, pour servir de plaisir à l’homme. Tous les trésors de son corps ne sont pas faits pour rester éternellement emprisonnés dans son corset. Les Africaines et les Mauresques se mettent à l’aise, et qui songe à les blâmer ?

Ou plutôt l’homme civilisé s’est tissé des vêtements pour mieux jouir de la nudité, comme a dit Sully Prudhomme. C’est un raffinement, et le plus grand de tous, puisqu’il décuple la volupté en paraissant sacrifier à la pudeur.

Tout cet exorde plus ou moins gauche est pour dire que je suis jeune, que j’ai dix-sept ans, que je suis vierge et que ça ne peut pas durer comme ça. Ce n’est pas à soixante-dix ans que je retrouverai mes ardeurs d’aujourd’hui. En sacrifiant à de vains préjugés, je perds un temps que je ne retrouverai plus et les plus beaux jours de la plus