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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/163

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Je ne dirai rien des autres acteurs. Sauf Berton (et encore !) ils sont pitoyables. Du reste, on ne les écoute pas. Même quand ce sont eux qui parlent, c’est Sarah qui joue, et on regarde Sarah.

Je ne dirai rien de la pièce, elle est stupide. Du reste on ne l’écoute pas non plus. Et je serais bien embarrassé de répéter un mot des scènes où Sarah ne joue pas.

Il n’y a que Sarah, Sarah encore et toujours.

Je suis revenu, à onze heures et demie, à pied, de la Porte-Saint-Martin ici. Georges me parlait d’autre chose, je n’écoutais pas. Je répondais oui, non, et en moi-même je me disais : « Mon Dieu, quand aura-t-il fini, que je puisse penser à Sarah ? » Et, dès qu’il se taisait, je revoyais la gracieuse figure et le sourire idéal de la Tosca, et je me retraçais ses moindres gestes.

Je suis enfin rentré. J’ai remercié Georges et je me suis couché. Je me suis endormi au bout de peu de temps, et j’ai rêvé, non de la pièce, mais de Sarah. Elle était en scène et la salle était noyée dans cette atmosphère vaporeuse des rêves. Elle me regardait, de son sourire, et me disait d’une voix que j’étais seul à entendre : « Viens… après l’entr’acte… tu n’oublieras pas ? » Et dès que le rideau fut baissé, je la vis, comme une ombre charmante, s’avancer vers moi, glisser plutôt, invisible aux autres. Elle se courba, me tendit sa joue à baiser, ce que je fis, et je me réveillai.