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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/336

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du pli des joues, de l’arc des sourcils ; ce sont les clartés noires qui errent sur ses yeux…

Toute ma vie, je vivrais mille ans, je me rappellerais Mounet-Sully tirant l’épée au dernier acte de Ruy-Blas et surgissant, la lame levée[1] !

Toute ma vie, je me le rappellerai sortant du cabinet et tirant après lui la draperie rouge sur le mur. On lui a fait cinq ovations prolongées, triomphales. J’étais heureux de pouvoir crier.


Jeudi, 16 octobre 90.

Mallarmé est un homme charmant. J’avais rendez-vous avec lui avant-hier. Il m’avait écrit d’arriver « un peu avant tout le monde », parce que j’avais à lui parler, lui disais-je. C’était le sonnet de Valéry que je voulais montrer. Mais personne n’est venu et nous avons causé près d’une heure et demie sans être dérangés.

Il a un charme presque féminin, silencieux, isolé. Il parle bas, dit peu de mots, mais fait un sort à toutes ses phrases ; le premier jour, cela m’avait crispé ; maintenant, après l’avoir vu cinq fois, je m’y habitue, il est si peu encombrant ! Et puis il parle très bien ; non seulement c’est un grand poète, mais c’est un homme très intelligent, et cela

  1. Sur ces mots dits tout bas : « Quand je serais bourreau ».