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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/361

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que j’étais si calme, d’entendre ces mots sans suite, entrecoupés, fous, tandis que j’étais si dans mon bon sens, car la jouissance virile est digne, — mais aussi j’étais fier de me sentir une seconde tout-puissant, fier d’avoir conscience qu’une âme tumultueuse était liée à moi, rivée à mon corps, esclave de ma force ; j’avais la même joie féroce et bestiale que devaient avoir les tortionnaires de tenir le fer rouge et voir la chair fumer, je prolongeais le supplice indicible et doux, je me repaissais d’affolement, j’écrasais lentement le faible corps entre mon torse et mes bras noués, sûr qu’à cet instant toute douleur s’extasierait, et je souriais vaguement, songeant aux vers de Lucrèce, tandis qu’elle me mordait tout le menton, avec des plaintes, des plaintes, des plaintes…

Et quand ce fut fini, quand elle resta longtemps sur le dos, essoufflée et lasse, je regardais ses yeux qui s’étaient cernés et qui brillaient comme une flamme sur l’eau. Elle était presque honteuse de s’être à ce point livrée[1].


26 janvier 91, 1 h. matin.

Thermidor. — J’ai failli être écharpé ce soir à la

  1. J’ai revu Marcelle en 1891, 1892 et 1893. Un jour, après une semaine, comme je sonnais chez elle, on m’a dit brutalement : Nous l’avons enterrée hier. Insomnie atroce, la nuit suivante. (Née à Paris, XVe, le 22 sept. 1869. Morte le 1er novembre 1893, à 24 ans.)