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Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/189

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heures ordinaires des repas sont lorsque le soleil passe au méridien et lorsqu’il est couché. Les hommes ne mangent point avec les femmes ; celles-ci seulement servent aux hommes les mets que les valets ont apprêtés.

À Taïti on porte régulièrement le deuil, qui se nomme eeva. Toute la nation porte le deuil de ses rois. Le deuil des pères est fort long. Les femmes portent celui des maris, sans que ceux-ci leur rendent la pareille. Les marques de deuil sont de porter sur la tête une coiffure de plumes dont la couleur est consacrée à la mort, et de se couvrir le visage d’un voile. Quand les gens en deuil sortent de leurs maisons, ils sont précédés de plusieurs esclaves qui battent des castagnettes d’une certaine manière ; leur son lugubre avertit tout le monde de se ranger, soit qu’on respecte la douleur des gens en deuil, soit qu’on craigne leur approche comme sinistre et malencontreuse.

Dans les maladies un peu graves tous les proches parents se rassemblent chez le malade. Ils y mangent et y couchent tant que le danger subsiste ; chacun le soigne et le veille à son tour. Ils ont aussi l’usage de saigner ; mais ce n’est ni au bras ni au pied. Un Taoua, c’est-à-dire un médecin ou prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant sur le crâne du malade ; il ouvre par ce moyen la veine que nous nommons sagittale ; et lorsqu’il en a coulé suffisamment de sang, il ceint la tête d’un bandeau qui assujettit l’ouverture : le lendemain il lave la plaie avec de l’eau.

J’ai appris d’Aotourou qu’environ huit mois avant notre arrivée dans son île un vaisseau anglais y avait abordé. C’est celui que commandait M. Wallas. Le même hasard qui nous a fait découvrir cette île, y a conduit les Anglais pendant que nous étions à la rivière de la Plata. Ils y ont séjourné un mois, et, à l’exception d’une attaque que leur ont faite les insulaires qui se flattaient d’enlever le vaisseau, tout s’est passé à l’amiable. Voilà, sans doute, d’où proviennent et la connaissance du fer que nous avons trouvée aux Taïtiens, et le nom d’aouri qu’ils lui donnent, nom assez semblable pour le son au mot anglais iron, fer, qui se prononce aïron.