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Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/308

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état de faire de la voile. Nous avions perdu la vue d’Ouessant, et pendant la cape le vent et la mer nous avaient fait dériver dans la Manche.

Déterminé à entrer à Brest, j’avais pris le parti de louvoyer avec des vents variables du sud-ouest au nord-ouest, lorsque, le 15 au matin, on vint m’avertir que le mât de misaine menaçait de se rompre au-dessous du capelage. La secousse qu’il avait reçue dans la rupture de sa vergue avait augmenté son mal, et quoique nous en eussions soulagé la tête en abaissant sa vergue, faisant le ris dans la misaine et tenant le petit hunier sur le ton avec tous ses ris faits, cependant nous reconnûmes, après un examen attentif, que ce mât ne résisterait pas longtemps au tangage que la grosse mer nous faisait éprouver au plus près ; d’ailleurs toutes nos manœuvres et poulies étaient pourries, et nous n’avions plus de rechange : quel moyen, dans un état pareil, de combattre entre deux côtes contre le gros temps de l’équinoxe ? Je pris donc le parti de faire vent arrière et de conduire la frégate à Saint-Malo. C’était alors le port le plus prochain qui pût nous servir d’asile. J’y entrai le 16 après-midi, n’ayant perdu que sept hommes pendant deux ans et quatre mois écoulés depuis notre sortie de Nantes.

Puppibus et laeti nautie imposuere coronas.
Virgile, Ænéide, liv., IV.


Nota. Sur cent vingt hommes dont était composé l’équipage de M. de la Giraudais, il n’en a perdu que deux de maladie pendant le voyage. Il est rentré en France le 14 avril, un mois juste après nous.