Aller au contenu

Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouve dans les environs que quelques petits bois à peine propres à brûler. Tout ce qui est nécessaire pour la charpente des maisons, la construction et le radoub des embarcations qui naviguent dans la rivière, vient du Paraguay en radeaux. Il serait toutefois facile de tirer du haut du pays tous les bois propres à la construction des plus grands navires. De Montegrande, où sont les plus beaux, on les transporterait en cajeux par l’Ybicui dans l’Uruguay ; et depuis le Salto Chico de l’Uruguay, des bâtiments fait exprès pour cet usage les amèneraient à tel endroit de la rivière où on aurait établi des chantiers.

Les naturels qui habitent cette partie de l’Amérique au nord et au sud de la rivière de la Plata, sont du nombre de ceux qui n’ont pu être encore subjugués par les Espagnols et qu’ils nomment Indios bravos. Ils sont laids et presque tous galeux. Leur couleur est très basanée, et la graisse dont ils se frottent continuellement les rend encore plus noirs. Ils n’ont d’autre vêtement qu’un grand manteau de peaux de chevreuil, qui leur descend jusqu’aux talons et dans lequel ils s’enveloppent. Les peaux dont il est composé sont très bien passées : ils mettent le poil en dedans, et le dehors est peint de diverses couleurs. La marque distinctive des caciques est un bandeau de cuir dont ils se ceignent le front ; il est découpé en forme de couronne et orné de plaques de cuivre. Leurs armes sont l’arc et la flèche ; ils se servent aussi du lasso et de boules[1]. Ces Indiens passent leur vie à cheval et n’ont pas de demeures fixes, du moins auprès des établissements espagnols. Ils y viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l’eau-de-vie, et ils ne cessent d’en boire que quand l’ivresse les laisse absolument sans mouvement. Pour se procurer des liqueurs fortes, ils vendent armes, pelleteries, chevaux ; et, quand ils ont épuisé leurs moyens, ils s’emparent des premiers chevaux qu’ils trouvent auprès des habitations et s’éloignent. Quelquefois ils se rassemblent en troupes de deux ou trois

  1. Ces boules sont deux pierres rondes de la grosseur d’un boulet de deux livres, enchâssées l’une et l’autre dans une bande de cuir, et attachées à chacune des extrémités d’un boyau cordonné long de six à sept pieds. Ils se servent à cheval de cette arme comme d’une fronde, et en atteignent jusqu’à deux cents pas l’animal qu’ils poursuivent.