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Page:Louis Napoléon Bonaparte - Histoire de Jules César, tome 2, Plon 1865.djvu/528

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les lois lui défendaient de franchir, il s’arrête un moment comme frappé de terreur ; il communique ses appréhensions à Asinius Pollion et à ceux qui l’entourent. Une comète s’est montrée dans le ciel[1] ; il prévoit les malheurs qui vont fondre sur l’Italie et se rappelle le songe qui, la nuit précédente, était venu oppresser son esprit : il avait rêvé qu’il violait sa mère. La patrie n’était-elle pas en effet sa mère ; et, malgré la justice de sa cause et la grandeur de ses desseins, son entreprise un attentat contre elle ? Mais les augures, ces interprètes flatteurs de l’avenir, affirment que ce songe lui promet l’empire du monde : cette femme qu’il a vue renversée n’est autre que la terre, mère commune de tous les mortels[2]. Puis tout à coup une apparition frappe, dit-on, les yeux de César : c’est un homme de haute stature, entonnant sur la trompette des airs guerriers et l’appelant sur l’autre rive. Toute hésitation cesse ; il se porte en avant et passe le Rubicon en s’écriant : « Le sort en est jeté ! allons où m’appellent les prodiges des dieux et l’iniquité de mes ennemis[3]. » Bientôt il arrive à Ariminum, dont il s’empare sans coup férir. La guerre civile est commencée !

Le véritable auteur de la guerre, a dit Montesquieu, n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire. Il n’est pas donné à un homme, malgré son génie et sa puissance, de soulever à son gré les flots populaires ; cependant, quand, désigné par la voix publique, il apparaît au milieu de la tempête qui met en péril le vaisseau de l’État, lui seul alors peut diriger sa course et le conduire au port. César n’était donc pas l’instigateur de cette profonde perturbation de la société romaine, il était devenu le pilote indispensable. S’il en eût été autrement, lorsqu’il disparut tout serait rentré dans l’ordre ; au contraire, sa mort livra

  1. Lucain, Pharsale, I, vers 526.
  2. Suétone, César, vii. — Plutarque, César, xxxvii.
  3. Suétone, César, xxxii.