Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/116

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notre orgueil sans bornes nous isolent du vrai bonheur. Nous nous privons de tout ce qui fait la joie de la vie humaine ; nous vivons entassés dans de grandes cités ; nous devenons las et énervés, nous abîmons notre santé, et, en dépit de tous nos plaisirs, nous arrivons à mourir d’ennui et de regret que notre vie soit tellement différente de ce qu’elle devrait être.

La vie devient chaque année et plus débile, et plus maladive, et plus douloureuse ; chaque année s’accroît davantage le nombre des suicides et des refus d’engendrer ; nous sentons d’année en année s’appesantir l’angoisse de notre vie ; et, de génération en génération, les hommes vont s’affaiblissant davantage. Autour de nous les gens meurent sous la charge d’un travail au-dessus de leurs forces, sous la charge de la misère. Et c’est pourquoi la conscience de l’homme, si peu qu’il lui en reste, ne peut pas s’assoupir. Tout homme consciencieux sent cela ; il serait bien aise de l’oublier, mais il ne le peut. Chaque homme sait que tous les hommes ont les mêmes droits à la vie et aux jouissances de ce monde, que tous les hommes, ni pires ni meilleurs les uns que les autres, sont égaux. Chacun sait cela d’une manière absolue, fermement. Et non seulement chacun voit autour de lui la division des hommes en deux castes, l’une peinant, souffrant, misérable opprimée ; l’autre oisive, dominatrice, vivant dans le luxe et dans les fêtes ; mais encore, volontairement ou non, chacun participe d’un côté ou de l’autre au maintien de ces divisions que sa conscience condamne, et il ne peut pas ne pas souffrir de cette contradiction et du concours qu’il apporte à cette organisation. Qu’il soit