Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/141

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servitude t’obligera à tuer même ton propre frère », — et lui, parfois très instruit, tend tranquillement son cou au harnais. On le revêt d’un accoutrement grotesque, on lui ordonne de sauter, de faire des grimaces, de saluer, de tuer, et il accomplit tout avec docilité. Et quand on le libère, il retourne, comme si rien n’était, à son ancienne vie et continue à parler de la dignité de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ! — « Mais que faire ? demande-t-on parfois avec une perplexité sincère. Si tout le monde refusait le service, je comprends encore, mais seul, je ne ferai que souffrir sans utilité pour personne. »

Et c’est vrai ; l’homme de la conception sociale de la vie actuelle ne peut pas refuser. Le but de sa vie est son propre bonheur. Pour Impersonnellement il vaut mieux se soumettre, et il se soumet, puisqu’il n’a pas de principe au nom duquel il pourrait s’opposer seul à la violence.

Et c’est avec une société ainsi composée d’hommes, abrutis jusqu’à promettre de tuer leurs propres parents, que des hommes publics, — conservateurs, libéraux, socialistes, anarchistes, — voudraient constituer une société rationnelle et morale !

La situation semble sans issue, et le serait réellement si l’homme n’était pas capable, par une conception plus haute de la vie de s’affranchir des liens qui semblent le tenir solidement. Une nouvelle conception de la vie ne peut pas être prescrite, elle ne peut qu’être librement assimilée.

La question — que faire ? — est résolue par l’homme qui dit : « Pour moi, je n’ai plus besoin de l’État, pour moi, je ne peux plus commettre les