Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/180

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On croit que l’intelligence du critique est plus étendue que celle de l’artiste, c’est probablement parce qu’elle est moins passionnée. Quel est le rôle du critique ? Tolstoï ne le définit pas, puisqu’il nie la critique. Si l’art s’adressait à tous, dit-il, la critique n*existerait pas. On croit généralement que le critique doit montrer ce que le poète ou l’artiste n’a pas assez montré, il doit ouvrir ce qui n’est qu’entr’ouvert, il doit déployer. Mais le critique déploie plus souvent son propre moi que celui de l’artiste, ou celui de l’artiste à travers son propre tempérament. En un mot, comme l’artiste, le critique reste lui-même. Et l’artiste peut-il être aussi critique ? L’art et la critique sont-ils compatibles ? Tolstoï ne pose pas Cette question, et c’est dommage, elle est bien intéressante et excessivement importante. On nie le jugement chez l’artiste. Pour comparer deux impressions, dit-on, il ne faut être dominé ni par l’une ni par l’autre, il faut s’en éloigner et les juger du dehors, tandis que l’artiste est toujours tout entier dans chacune de ses impressions. La puissance de comparaison, voilà ce qui fait la critique. Une étude approfondie de la question fait changer cette opinion. Les critiques cherchent à déduire les raisons de leurs sympathies et de leurs antipathies ; les artistes, moins analyseurs, en sentent le pourquoi plus qu’ils ne l’expliquent. Mais ils savent ce qu’ils sentent, ce qu’ils veulent et ce qu’ils font. Pour se présenter sous une autre forme, leur critique n’en est pas moins de la critique. Pendant que l’artiste travaille, produit, il ne s’analyse pas, mais dès que son travail est terminé, il le critique, il le compare avec ce qu’il a