Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/32

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seils de son frère, il se fît nommer sous-officier d’artillerie. Il prit part à toutes les expéditions militaires à régal des simples soldats, ce qui lui donna la possibilité d’étudier tous les menus détails de la vie militaire. Ses camarades le tenaient pour un aristocrate et gardaient vis-à-vis de lui une certaine dignité ; lui-même ne cherchait pas à se rapprocher d’eux et ne se souciait pas de leurs bambouches accompagnées de chants du régiment. Tolstoï vivait à sa manière. Il aimait les causeries des cosaques ; il aimait aussi à regarder les eaux troubles et rapides du Terek rouler leurs masses brunes entre les rives immobiles.

L’esprit de Tolstoï avait entièrement changé ; son visage autrefois rasé, se couvrait de barbe et déjeunes moustaches ; son teint avait cédé à un hâle vigoureux et sain ; l’élégant habit avait fait place à un costume cosaque à larges plis ; il avait un bechmet rouge ; il était content de lui-même et respirait le bonheur et la santé. Il se lia d’amitié avec un vieux cosaque, un nommé Jérochka[1] ; une sorte d’ancien bandit « qu’on connaissait dans toute la chaîne de montagnes », mais très grand philosophe qui n’aimait pas les « docteurs de la loi ». Il causait souvent avec Tolstoï de son bon vieux temps, de ses chasses, de ses aventures… « Chacun, disait-il, tient à sa religion. À mon avis, toute foi est bonne. Dieu a créé l’homme pour être heureux ; il n’y a péché à rien. La bête, par exemple, choisit son gîte où elle le trouve. Et on nous annonce qu’en punition de nos péchés, nous

  1. Cosaques.