Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/34

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— L’amour et le dévouement.

Et Tolstoï se sentit de nouveau heureux sans savoir pourquoi. Chaque jour il se sentait plus homme et plus libre. « Les hommes, pensait-il, vivent ici selon les lois de la nature ; ils naissent, engendrent, se battent, mangent, boivent, jouissent de la vie, meurent et ne connaissent d’autres lois que celles imposées invariablement par la nature au soleil, à la végétation, aux animaux. Il n’y en a pas d’autres[1]. »

Ces hommes lui semblaient meilleurs, plus énergiques, plus libres que lui ; en se comparant à eux, il avait honte et pitié de lui-même. L’idée lui venait de rester ici, d’acheter une cabane, du bétail, d’épouser une cosaque et de vivre selon la nature. Il croyait même aimer une jeune cosaque, « comme on aime la beauté des montagnes et du ciel » ; il ne songeait pas à d’autres relations avec elle. Il se disait que, s’il suivait l’exemple de ses camarades, « il aurait échangé les jouissances contemplatives contre une vie de tourments, de désillusions et de remords ».

Parfois il contemplait la chaîne des montagnes neigeuses, cette magnifique femme, et il se disait que le seul bonheur possible sur la terre n’était pas pour lui et que cette femme ne serait jamais à lui. « Ce que j’éprouve de plus cruel et de plus doux à la fois, c’est que je comprends cette femme et qu’elle ne me comprendra jamais, car elle est comme la nature, belle, impassible, concentrée[2]. »

« Il faut essayer ! Pourquoi aviser ? Pourquoi

  1. Cosaques.
  2. Idem.