Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/42

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l’un des leurs. Tourguénev était alors très aimé du public russe ; la muse de Nekrassov, qui garda toujours une empreinte de tristesse, avait déjà donné les meilleures de ses chansons ; le dramaturge Ostrovsky, le romancier Gontscharov, le critique Droujinine, tous se groupèrent autour du Sovremennik, revue mensuelle de Nekrassov.

Le poète Fête raconte dans ses Souvenirs avoir vu Tolstoï à l’une des réunions de la rédaction. « Il avait l’air mécontent, agressif, n’admettait aucune des opinions exprimées par ses confrères. Personne de vous n’a de conviction profonde, dit Tolstoï à Tourguénev. Je me mets, par exemple, à la porte avec un revolver chargé à la main et je dis : personne n’entrera. Ceci est une conviction ; tandis que vous autres, vous cachez le fond de votre pensée et vous appelez cela une conviction ! »

Tolstoï décrit ainsi son séjour à Saint-Pétersbourg, « J’arrivai à Saint-Pétersbourg et je me liai avec plusieurs écrivains. On me flatta et je n’eus pas le temps de penser, que les opinions sur la vie, opinions toutes spéciales à la caste avec laquelle je me liai, s’emparèrent de moi et effacèrent bientôt complètement tous mes précédents efforts pour devenir meilleur. Ces opinions se basaient sur une théorie qui excusait tout le libertinage de ma vie. Le jugement, que mes compagnons de lettres portaient sur la vie, consistait en ce que, dans ce développement, nous prenons la part principale, nous, les hommes de la pensée. L’influence prépondérante nous appartient, à nous, moralistes et poètes. Notre vocation est d’instruire les hommes. Et pour que cette ques-