Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/63

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hommes simples et ignorants. Et il fut frappé par la différence entre la foi du peuple et la foi du monde auquel il appartenait[1]. Contrairement à ces derniers qui protestent contre le destin et s’indignent de ses rigueurs, les gens du peuple reçoivent les maladies et les souffrances, sans aucune révolte, sans opposition, mais avec une confiance ferme et tranquille en ce que tout cela doit être ainsi, ne peut être autrement et que tout cela est bien, ils travaillent tranquillement, endurent les privations et les souffrances, vivent et meurent, et dans tout cela voient le bien, sans voir la vanité.

Et Tolstoï aima ces gens. Il se fit en lui un changement, qui se préparait depuis longtemps et pour lequel il avait toujours eu des dispositions. Il comprit que pour saisir le sens de la vie, il fallait avant tout que la vie ne fût pas absurde ni méchante et que l’intelligence ne vint qu’après. Il comprit que, s’il voulait penser et parler de la vie de l’humanité, il devait envisager l’humanité en général et non « quelques parasites de la vie ».

À partir de ce moment « tout devint clair pour lui ».

Tolstoï appelle cette crise « la recherche de Dieu ». Cette recherche n’était pas un raisonnement, mais un

  1. Le dualisme religieux de la Russie lettrée et de la Russie populaire est immense. « Ces deux Russies superposées et presque étrangères l’une à l’autre, semblent appartenir à deux âges différents. Si l’une nous paraît en être toujours au moyen âge, au xve ou xive siècle, l’autre en est fréquemment au xviiie siècle, à l’incrédulité frivole ou au naïf philosophisme antérieur à la Révolution. » A. Leroy-Beaulieu, l’Empire des tsars, t. III, p. 46-47.