Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’analyser, sans la contrôler, sans la comprendre.

La vie de Tolstoï n’est pas un calcul, c’est un champ qui fleurit librement. Tolstoï pousse, vit, se développe, comme une fleur sauvage, enfermée, par moments, dans une serre, qui lui fait mieux comprendre et mieux aimer le grand air libre et la sublime immensité de la nature. Son cœur cherche le bonheur présent, sa pensée regarde toujours vers l’avenir. Si Tolstoï ne pouvait pas dire avec Térence : « Homo sum, humani nihil a me alienum puto », s’il n’avait pas goûté, en gourmet, à toutes les douceurs de la vie, il n’en aurait pas compris la vanité et le mensonge. C’est la vie animale, la vie de « tout le monde », menée jusqu’à sa conversion, qui fait mûrir les germes de la vie saine qu’il portait en lui. Celle-ci n’est pas un acte volontaire de la raison, mais le résultat d’une longue évolution. C’est l’évolution de ses doutes, de son tourment qui le conduit à l’éternel pourquoi de la vie qui se pose à un moment donné devant tout être conscient.

Dans notre jeunesse, lorsque la voix intérieure nous dit : Ce n’est pas cela », une autre répond : « Vis, développe-toi, cherche, tu trouveras la résolution de tes doutes non pas dans le passé, mais dans l’avenir ! » Mais il arrive un moment dans la vie de tout être humain où il comprend qu’il n’y a plus d’avenir pour lui, que sa vie, à lui, c’est son passé, son présent, et aucune voix intérieure ne lui dit plus : « Cherche toujours, tourne tes regards vers l’avenir ! » Et si nous ne trouvons dans notre passé et dans notre présent que le vide, la Vie elle-même, la vie entière devient pour nous le vide.