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El Arab

En dehors de son génie militaire il fallait toute l’habileté, tout le charme, et, pour parler exactement, toute la poésie du général Lyautey, j’ajouterai sa littérature, voire son sens du théâtre, pour parvenir non seulement à soumettre mais à captiver un peuple pareil.

Lyautey fut le chef qui sait devant des Arabes (trop souvent stupéfiés par le triste et terne costume européen) galoper sur un cheval fougueux au claquement immense d’un manteau de commandement parsemé d’étoiles d’or. C’était ce que j’appelais tout bas « son côté Sarah Bernhardt », et qui fit tout autant pour sa conquête du Maroc que sa plus fine diplomatie.

Pendant les quinze jours passés à Aïn-Sefra, j’eus le loisir de l’étudier en pleine action, une action qui s’exerçait jusque dans les moindres détails. Quand nous revenions de ces courses dans le désert avec des officiers(dont j’ai raconté quelque chose dans mon livre intitulé Le Cheval) il ne manquait jamais de m’appeler près de lui.

— Madame Delarue-Mardrus, venez au rapport !

Il me fallait rester seule avec lui, répondant à toutes ses questions. « Qu’avez-vous vu ? Qu’avez-vous entendu ? Qu’avez-vous remarqué ?… »

Bien des années plus tard, la guerre 1914-1918 depuis longtemps terminée, Jean et Jérôme Tharaud purent nous raconter, dans un Maroc entièrement pacifié sauf quelques derniers points de résistance, et parcouru d’autos sur de belles routes toutes neuves, comment le conquérant, devenu maréchal, faillit mourir à Fez d’une crise aiguë au foie, et comment la population indigène de la ville en accueillit la nouvelle.

« Le Maréchal était couché dans une chambre du délicieux palais de Bou Jloud. Les fenêtres de celle chambre s’ouvraient au-dessus d’une cour de marbre. Tout à coup on vit entrer dans la cour une petite foule musulmane, deux cents personnages environ. C’étaient les chorfa de la ville :