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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/103

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El Arab

isolée le bouquet de roses, entièrement desséché mais intact, que j’avais apporté de Paris pour elle.

Le chapitre Isabelle Eberhardt est un des plus curieux parmi les pages qui constituent la passionnante histoire du Sahara.

N’ayant jamais rencontré cette Russe aventureuse, je puis dire pourtant que je la connaissais bien. Car un de ses plus chers amis, le directeur du journal algérien L’Akhbar, me l’avait longuement, minutieusement racontée au cours de conversations sans cesse renouvelées aussi bien à Paris que lors de nos passages dans la ville d’Alger.

Isabelle Eberhardt, qui devait mourir à vingt-sept ans, avait commencé par être étudiante en médecine à Genève. Les hasards de la vie l’ayant conduite en Algérie, elle y était définitivement restée, et, sa mère étant morte à Bône, orpheline solitaire, elle s’était peu à peu transformée non en Bédouine mais en Bédouin, après s’être convertie à l’Islam, bien entendu.

Les livres qu’elle a laissés, quelque peu retouchés quant au tour littéraire par son ami le journaliste, restent un précieux document sur ce que fut la vie du désert avant le viol des autos et du transsaharien. Exacte comme, un objectif, ne brodant pas, n’inventant pas, dans un style plein de monotonie, elle notait simplement ce qu’elle voyait, ce qu’elle entendait autour d’elle pendant ses longues errances de nomade à cheval.

L’arabe était devenu sa langue familière. Habillée en musulman, le crâne rasé sauf la mèche coranique par laquelle l’ange Asraël doit saisir les fidèles après leur mort pour les porter soit en enfer soit au paradis, ce n’était plus une femme mais un adolescent indigène que L’Akhbar voyait de temps en temps reparaître dans ses bureaux d’Alger.


« Elle s’asseyait à l’arabe sur les coussins de mon petit divan, raconte le directeur, et, d’une voix molle, se mettait, comme on dit dans le Sud, à « parler mulet », ce qui signifie