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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/169

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El Arab

Puis-je ne pas raconter la suite de nos relations avec lui ?

Le cycle des grands voyages étant refermé pour nous après l’Égypte, la Syrie, la Palestine, en 1913, je crois, au Pavillon de la Reine (notre maison de Honfleur), je clignai des yeux, un matin de septembre, vers l’avenue toujours solitaire où s’avançait une ombre insolite.

Force me fut au bout d’une seconde de pousser de grands cris et d’appeler mon mari.

Salaheddîne lui-même !

Je l’ai dit, les Orientaux n’ont aucun sens de l’Orient. Salaheddîne était en redingote, avec le tarbouche sur la tête. La barbe ajoutée, sa silhouette rappelait à peu près celle d’un concierge de comédie.


Je conviens qu’il ne pouvait aborder l’Occident tel que, dans son pays, je l’avais vu paré ; mais, au lieu du tarbouche il pouvait porter le petit turban foncé du hadj ou pèlerin de la Mecque, au lieu de la redingote une robe sombre sous son manteau noir. Cette tenue sobre et comme cléricale n’eût pas excité plus de curiosité que son simple fez, événement considérable dans la ville de Honfleur où se renouvelait sur son passage le « peut-on être Persan ! » de nos aïeux.

Devant son aspect inadmissible, je cachai de mon mieux douleur et scandale. Mais il me fallut me dépêcher de retrouver son regard de saint François pour ne pas le supplier de disparaître à l’instant de ma vue. Puis il parla, sourit, et le sortilège du poète fit presque oublier l’erreur du voyageur.

Mais, oh ! les Eaux-Douces d’Asie, les jardins de Brousse, les belles robes, la haute coiffure du Mewléwi ! Oh ! le décor, l’habillement et les paroles se confondant en un seul rêve, homogénéité parfaite !