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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/205

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El Arab

Un rien de traduction J. C. Mardrus. C’est un des chants préférés de Bamba.


                 Ô nuit ! Ô nuit !
Où vas-tu, ô toi qui m’amuses ?
Ô nouvelle lune, ton amour m’a cautérisé le cœur.
Remplis la coupe, échanson, et abreuve-moi,
Et emmène-moi avec toi au milieu du jardin.
                 … Ô nuit ! Ô les yeux !

Bamba la tête de côté, les yeux perdus dans la musique, roucoulait, toujours assise, car un chanteur musulman ne se tient jamais debout. Sa voix, placée dans le nez comme toutes les voix arabes qui chantent, se mêlait avec son luth pour nous enivrer d’un rêve sans commencement et sans fin. Le temps cessait d’exister. Des siècles chantaient avec elle, passés et futurs, et nous ne savions plus où nous étions, qui nous étions.

Sept heures du matin…

Ayant vu poindre l’aurore, je m’inquiétai, ce jour de fête finissante. N’était-il pas temps pour moi de rentrer au Shepherd ? Mon mari n’allait-il pas…

Ici le regard de Bamba, son mot : « Quand tu vivrais dix mille ans… »

Elle avait raison. Je le sentis sur le moment, je le sens encore davantage depuis que tant d’années ont passé sur cette nuit-là, sur d’autres aussi belles qui ne sont jamais revenues, ne reviendront jamais plus.


Un regard encore plus profond que celui dont elle me reprocha mon agitation malséante, je le vis dans ses yeux, une après-midi qu’elle ne chantait pas. Assise à l’écart sur un divan bas, les sourcils froncés, elle contemplait l’invisible, plongée dans une méditation qui semblait être celle même du Sphinx de Gizèh.

Après l’avoir longuement observée de loin, je m’approche, émue, secrète. Presque bas j’interroge en arabe : « À quoi penses-tu, Sett Bamba ? »