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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/228

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Louxor

Je me souviens de l’impression étrange que j’avais en regardant ces vols éternels. Ceux qui, sans fin, encerclaient l’obélisque frère de celui de notre place de la Concorde à Paris, semblent des hiéroglyphes vivants échappés d’inscriptions millénaires, et traçant dans l’air quelque nouvelle énigme.


C’est en nous attardant aux côtés de M. Legrain que nous apparut, en dépit de siècles de siècles, une ressemblance émouvante du présent avec le plus profond autrefois.

Les indigènes qui s’activent sous les ordres du chef, au moment de tirer tous ensemble sur la corde qui va faire s’élever puis se poser ce bloc canonique par-dessus les autres, n’exécutent leur mouvement unanime, comme partout ailleurs en Égypte, que sur un rythme donné, mot qu’ils scandent d’une seule voix pour aider leur effort.

À force de les entendre répéter toujours leur HA-LIS-SAH, je finis par m’informer près de mon compagnon.

Il écoute un moment, plus attentif, et déclare, surpris : « Ce n’est pas un mot arabe ! »

Après avoir réfléchi longtemps, il découvrit un matin le mystère. « Halissah », mot grec déformé par les âges, c’est l’eleïson de la messe, celui du Kyrie, le cri de l’Égypte esclave sous les Ptolémées : « Ayez pitié de nous ! »

Tout comme leurs éperviers, ces Égyptiens que nous voyons peiner devant nous, et qui ressemaient tant à leurs fresques antiques, sont les descendants directs d’un incalculable passé. La différence est qu’ils ne sont plus esclaves. Mais ils ne savent pas ce qu’ils répètent. Leur fascinante histoire, ils n’en connaissent pas un seul mot.

C’est évidemment pourquoi rien ne les gêne dans les pires modernités.

Au milieu des pierres géantes, des chapiteaux en forme de lotus, des débris de toutes sortes, démolition sacrée qui fait songer à la colère de Samson, M. Legrain


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