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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/240

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La Syrie

Combien j’aimais, les soirs, aller voir les pêcheurs musulmans, entre les rochers de la baie, naviguer lentement, profils en robes et turbans, dans leurs petites barques non pontées, à la recherche du poisson !

Une torche brûlait à l’avant, dans le clair-obscur silencieux. Le pêcheur, son trident à la main, guettait la montée de la proie qui, fascinée par la lumière, quittait les profondeurs marines pour venir se faire cruellement cueillir à la surface.

Tranquille, muette, harmonieuse, cette pêche, qui n’avait d’autres spectateurs que nous, me paraissait grande comme l’antique.

Gorgés de brillantes réceptions en notre honneur, le jour vint pour nous, quand s’avança la saison, de quitter la ville pour gagner les montagnes et respirer en plein pittoresque.

Fière, assez enfantinement, d’être sur un nouveau continent, je me grisais de ce mot : Asie.

Avec habileté J. C. Mardrus me présentait un pays qu’il connaissait si bien. Après les hautes intellectualités de Beyrouth, remonter à cheval m’était un plaisir contrasté dont je connaissais déjà les ivresses.

La Syrie, maison mère du pur-sang, nous offrit ses chevaux élégants comme des biches, sur lesquels satisfaire notre commun goût de liberté dans la nature.

Je me souviens de ce jour où je dus m’arrêter en pleine course, saisie d’un émerveillement qui, d’ailleurs, est pour toujours resté vivant en moi.

Du haut de ma jolie bête je voyais à la fois la mer à l’horizon, la neige des montagnes dans le lointain, cette forêt de pins dans laquelle nous allions entrer, les cultures fraîches et fleuries que nous longions, alors que les sabots de nos chevaux s’imprimaient dans un désert aussi roux que le Sahara.