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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/38

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Tunis

…Dans ce palais où j’étais priée, la fête des fiançailles, comme toujours, était double, le sélameck réuni dans les jardins, le harem à l’intérieur.

Pour les hommes, musique, chants, boissons douces, cigarettes ; pour les femmes, les mêmes réjouissances, exactement.

Après saluts et bénédictions, mon premier étonnement, en pénétrant dans la grande salle où se passait la fête, fût de la voir encombrée de matelas jetés par terre n’importe comme, certains occupés par des dormeuses qu’éventaient lentement leurs négresses accroupies.

La Roumia qui m’accompagnait, bien que ne parlant presque pas l’arabe mais ayant longtemps pratiqué la Tunisie indigène, pouvait me donner quelques explications. J’appris donc que ces matelas n’étaient là qu’afin de permettre aux invitées d’y faire un somme quand elles en avaient envie ; car, pour assister à ces fastes nocturnes, celles qui demeuraient loin de Tunis étaient arrivées dès cinq heures du matin.

Dans un angle de la salle se groupaient les musiciens. Des hommes ?

— Oui, me dit ma compagne, mais regardez-les mieux. Ce sont tous des aveugles.

Au milieu d’eux, prépondérante, la chanteuse, une célébrité. Tel était son stupéfiant embonpoint qu’elle débordait de partout les coussins sur lesquels elle était installée.

— Est-il possible !… murmurai-je.

— Qu’est-ce que vous dites ? Le désespoir de sa vie est de n’être pas encore plus grosse : car, malgré tous ses efforts, elle n’a jamais pu parvenir à l’énormité de sa mère, une chanteuse comme elle.

Cependant les pâtisseries et les sirops circulaient. À la place d’honneur, les princesses beylicales. Mal à l’aise sur des fauteuils européens (peluche voyante et bois doré comme il sied), elles étaient trois, jambes de ci, jambes de là dans leurs pantalons bouffants, genoux remontés haut, pieds au-dessus du sol, babouches tombées par terre. Bien qu’ayant l’air de s’ennuyer à mort elles s’amu-