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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/68

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La Kroumirie

Que si !

Le père du petit mort, soldat à Tunis, allait être prévenu par les soins de la diligence. « Il va tout de suite monter à cheval, nous informa Salah ; et, cette nuit, il sera là. »

À peine eus-je le temps d’imaginer la mère adolescente un peu consolée par ce retour de son compagnon, que Salah se dépêcha d’ajouter : « Et sa maison va être bien battue !»

Battue, cette malheureuse petite ? Oui, pour n’avoir pas su garder de la mort un mâle, un petit musulman, et, par surcroît, son premier né.

Le lendemain qui, justement, était le jour du marché à Aïn-Draham, nous aperçûmes au passage le père en deuil de son unique enfant. Assis en plein centre du marché grouillant, il recevait les condoléances de tous. Vêtu d’une robe jaune citron, chaussé de babouches rouges, coiffé d’un turban blanc, il arborait plus de morgue, certes, qu’un caïd en tournée d’inspection.

Ce n’était pas seulement le long des pistes rétrécies ou sous les immenses chênes-lièges et zéens des clairières que le monde indigène se révélait à nous. Les Kroumirs avaient fini par savoir que le Roumi qui parlait si magnifiquement l’arabe était en outre médecin, et ne se faisait pas payer.

Quelle féerie ! Chaque jour quelqu’un frappait aux deux chambres que nous occupions dans l’auberge. C’était un groupe de femmes aux yeux allumés d’espoir qui demandaient un remède pour se faire pousser de très longs cheveux ou pour devenir « blanches comme ta madame. » C’était un vieil Arabe qui se plaignait d’avoir « des coliques venteuses de mauvaise qualité ». Et ainsi de suite.

Je fabriquais consciencieusement la drogue toujours la même, à prendre par gouttes, et qui serait remise le lendemain soir : une larme de teinture d’iode, trois


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