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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/70

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La Kroumirie

— Reviens demain soir !

Je fis une fois de plus l’apothicaire. Et, chose impressionnante, ma panacée universelle réussit tellement bien que le cadi, Sa dose épuisée, vint un mois plus tard en demander le renouvellement.

La somptueuse décomposition de l’automne était venue à son heure transformer notre forêt, chaque jour y apportant sa merveille. Les feuilles ne tombaient pas encore mais un vaste camp du drap d’or s’étendait à perte de vue autour de nous et devant nous, parmi quoi les troncs des chênes-lièges faisaient de violents contrastes de par les couleurs fantastiques qu’ils prenaient, allant du gris violet au vert le plus électrique.

J’avais maintenant mon petit étalon à moi, joueur comme une chèvre, et qui, doué de cette intelligente sensibilité qui distingue les chevaux arabes, comprenait et suivait toutes mes humeurs sans que j’eusse à lui faire le moindre signe. Sur une bonne selle européenne je pouvais, pendant des heures, aux côtés de mon mari, courir la grande aventure sylvestre, sans avoir, comme les premiers temps, à remettre les mêmes ecchymoses dans les mêmes boucles ou nœuds de ficelles qui les avaient produites sur le bât arabe.

J. C. Mardrus cherchait des sources. (Il goûte les différents crus de l’eau comme d’autres ceux du vin). Quand il en avait découvert une nouvelle, nous descendions de nos chevaux pour boire. C’était dans une écorce creuse ou bien dans une longue feuille d’arum roulée en cornet, l’un ou l’autre de ces récipients sauvages laissés là par les Arabes pour que ceux qui viendraient à la source après eux pussent y boire comme eux.

Et nous faisions quelquefois des quatre-vingt kilomètres par jour, aller et retour, en pleine forêt, pour ces découvertes-là.

Notre rude vie équestre s’accompagnait à l’auberge d’un inconfort auquel je repense souvent pour m’étonner