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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/114

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LE MAL DES ARDENTS

réjouit, elle palpite et souffre. Et je m’agrandis à compatir. Mais je sais bien aussi que tout cela se passe en moi, c’est un jeu délicieux. Mais c’est un jeu ; et je n’en demeure la dupe volontaire que pour le temps offert à mon plaisir.

Olivier avait ainsi pris l’habitude de dévoiler à son ami l’étonnant mystère de cette joie intime qui l’éclairait. Celui-ci ne pouvait saisir qu’à de rares intervalles le fil ténu qui, parti de ses perceptions, l’amenait à la magnifique éclosion d’émotions et de figures, dont son existence spirituelle s’alimentait avec passion. La sécheresse des analyses auxquelles il était rompu depuis si longtemps, l’accoutumance aux traductions que nos auteurs ont données des phénomènes de la vie psychique, s’émerveillaient en Marc d’une telle abondance et d’une telle fraîcheur. Son ironie était submergée par la pureté du flot. Mais ce charme même soulevait une répugnance de son esprit ; car, disait-il à Rabevel, Olivier se livre totalement. Il multiplie son existence en l’incorporant aux mille existences réelles ou imaginaires de la nature, des héros et de ses camarades préférés ; il accroît son expansion vitale prodigieusement ; peu importe quand il ne s’agit que de la nature solitaire, du vent, de l’espace, des pierres solliciteuses de son désir qui les anime ; mais dans une foule humaine ?

Olivier, en effet, avait à l’extrême ce don divinatoire de sympathie qui permet à quelques hommes de susciter en chacun, parmi tant d’aspects multiples qu’elle revêt, l’âme