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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/135

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LA FIN DE RABEVEL

attendrissent les jeunes cœurs adolescents. Car ils se sentent tellement vivants que la mort ne les effraie point. Ils s’affligent seulement du sort qu’elle réserve à ceux qui lui sont soumis. Pourtant, pour Olivier et Isabelle serrés l’un contre l’autre, sur ce banc où la clémence exceptionnelle du climat leur permettait en cette saison une méditation immobile et silencieuse, la nature était une Belle au bois dormant qui se parait sur sa couche. Les teintes les plus rares formaient dans les futaies une symphonie qui chantait avec passion le plaisir d’être triste.

Olivier s’y fût abandonné si, dès l’apparition d’Isabelle, le sourire direct de la jeune fille, son regard chargé d’amour et de confiance ne l’avaient délivré comme à chaque fois. Elle était auprès de lui, et la joie se faisait. Les complications sentimentales ne se concevaient pas en présence de cette âme si droite dont la flamme éclairait la plus belle santé morale qu’on ait jamais contemplée.

Mais le bonheur des raffinés est chose si complexe et si ténue, qu’il apparaît moins dans la durée que dans l’espace. Il est comme ces fils de la vierge qui, attachés par un bout et soudainement brisés, flottent horizontalement sous des souffles mystérieux. Il est constitué de lambeaux de réseaux parfaitement ouvrés comme les toiles des faucheux, mais brusquement interrompus sur un caprice inexpliqué. Et, somme toute, il n’est pas le bonheur, puisqu’il est, par essence, fugitif et que la conception des hommes ne s’assouvit que dans la conception du définitif.