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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/14

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LE MAL DES ARDENTS

d’Angèle lui en avait laissé l’unique et spécifique saveur.

Il espéra aussi en son fils. L’enfant grandissait, sain, alerte, vif et d’un joli visage. Le fils de Noë Rabevel, le petit Marc, de quelques mois plus âgé, était son compagnon de jeux. Eugénie venait parfois, avec Reine et les deux enfants, jusqu’au bureau de Bernard. Celui-ci gardait de la tendresse à sa tante, comme dans une sorte de cellier secret ; elle restait la lumière de son enfance : il l’interrogeait, elle lui répondait avec ce sourire qui la faisait belle. Noë allait bien, le travail croissait tous les jours ; dame ! c’était rude, mais ils étaient si heureux tous les deux ; dommage qu’on ne pût s’agrandir faute de capitaux. Bernard avait proposé d’avancer l’argent nécessaire, mais Noë n’avait rien voulu savoir, méfiant et orgueilleux. On n’était pas riches, c’était sûr, mais on était à l’aise et contents ; de quoi bien vivre et un gosse obéissant et intelligent, que désirer de mieux ? Et, en effet, le petit Marc, sage, attentif, rayonnait d’intelligence. Il fallut bien que Bernard se rendît compte de la différence avec son Jean ; celui-ci ne promettait que des dons médiocres. Il en fut horriblement mortifié : « Quelle consolation aurai-je dans la vie ? Ni femme, ni enfant, du moins tels que je les avais souhaités ! » Cette idée lui devint de plus en plus présente à mesure que ses affaires faisaient leur ornière, apprenaient à marcher seules dans leur voie sans cahots, lui laissaient peu à peu la liberté d’esprit. Cette liberté ne lui serait donc donnée que pour se ronger le foie ? Il le semblait ;