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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/236

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LE MAL DES ARDENTS

ment superficiel qui fait peur à notre instinct de conservation il y a plus de richesse, d’harmonie, de volupté, de jouissance profonde dans certaines douleurs que dans certaines joies. Et puis…

« La joie, la douleur ? gardons les mots si tu y tiens. Mais à nous placer dans la réalité exacte ne vois-tu point que la signification qu’on leur donne est fausse ? Tout le langage humain est, en vérité, établi sur ce misérable instinct de conservation. C’est lui le régulateur, l’étalon. Mais il est arbitraire, voyons ! Nous pouvons changer la graduation thermométrique avec Réaumur ou Farenheit… Le chaud ou le froid dépendent du zéro que nous déplaçons, au point de vue du langage. Les conditions de notre existence humaine veulent que ce zéro soit l’instinct de conservation…

— Mais, mon cher Rabevel, n’est-il point un guide précieux pour notre voyage terrestre ?

— Un guide désastreux ! Sous prétexte de sécurité, il prolonge notre voyage et nous en distrait les plus belles émotions. Quand l’agence Cook vous emmène dans l’Inde elle vous montre les villes et les monuments, mais la Jungle ? Mais le rukh : mais la vie formidable et secrète des hommes et des bêtes ? des Tughs et des tigres ? Je sais bien : on ne risque pas sa vie ; toujours la même antienne. L’instinct de conservation auquel obéissent les hommes est le cicérone de Cook.

« Ainsi ils parcoururent leur vie. Leur guide les a conduits prudemment et soutenus. Or, allons au fond : ce guide n’est-ce pas l’aubergiste qui prolonge le séjour, le parasite