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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/31

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LA FIN DE RABEVEL

Mauléon fut abasourdi ; c’était la question même qu’il voulait, de son côté, poser. Il jeta un regard angoissé vers Angèle : « Bon, se dit Bernard, Angèle est chargée du plaidoyer. Offrons-nous donc ce régal. » En effet, la jeune femme à la torture, à la limite de l’humiliation et de la crainte, le suppliait de sauver son père de la faillite. Il savourait les accents de cette voix merveilleusement délicieuse et pathétique, la suavité de cette incomparable figure toute, et mystérieusement, et toujours, chargée d’une tragédie dormante dont il avait connu d’inoubliables réveils. Le refrain de sa vie, le refrain de cette femme retrouvée, que ce soit à chaque instant lorsqu’ils vivaient ensemble, que ce soit tous les jours lorsqu’elle était malade chez Abraham, et que ce soit maintenant au bout de douze ans, le même refrain divinement simple et définitif lui montait aux lèvres doué du timbre de l’éternité : « Qu’elle est belle ! Qu’elle est belle ! » Que ces traits fondus lui rappelaient de caresses, de douceurs, de phrases extraordinairement émouvantes et simples, d’amours qu’elle seule pouvait donner, que nul autre ne connaîtrait, qu’il ne connaîtrait avec nulle autre. Il la persécutait de son silence, l’écoutait tâtonner, se reprendre, hésiter, se répéter, se désespérer ; il cherchait, puisqu’enfin elle était revenue tomber docilement et volontairement dans ce piège tendu depuis douze ans, il cherchait comment il allait la prendre. Une commotion rapide zébra ses nerfs ; il eut le désir bref et puissant de s’en saisir tout de suite, le soir même ;