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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/71

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LA FIN DE RABEVEL

cruelle de la femme qui se critique dans un miroir ; mais celle-ci pouvait sourire ; ses trente ans restaient intacts. Elle soupira pourtant, revint à la fenêtre, s’y pencha attentivement, tournée vers celle de la chambre de Bernard ; elle fut un instant aux écoutes, puis se rassit en soupirant encore. Elle avait l’air chagrin d’une petite fille abandonnée, la posture lasse, ses deux avant-bras allongés sur les cuisses. Elle se leva de nouveau, laissa tomber sa chemise et apparut toute nue. Elle prit sur le lit sa chemise de nuit ; au moment où elle allait la passer, un souffle d’air frais monté de la vallée pénétra dans la chambre : elle frissonna, murmura : « Ah ! qu’il fait doux ! » et reposa sur le lit sa chemise de nuit sans la mettre. Elle décrocha du mur une grande cuvette de tôle émaillée, s’y assit les jambes croisées, renversa le broc sur ses épaules, s’abandonna au ruissellement de l’eau froide avec délices. Le vent entré par quelque lucarne dans le couloir fit battre une fenêtre. La jeune femme se leva aussitôt apeurée, courut à sa pote et la ferma à double tour. Puis elle s’essuya, se frictionna, et s’assit sur son lit. Bernard considérait cette nudité adorable que la maternité avait respectée. Comme à Saint-Cirq, quatorze ans auparavant, il voyait de nouveau aux lueurs vacillantes de la bougie deux fleuves d’ombre et de lait rôder et s’affronter sur ces roches tendres d’un mouvement agile, élastique et coordonné. Angèle polissait ses ongles distraitement. Ses beaux seins fermes à peine ébranlés par le mouvement du buste. Bernard en crut sentir la chair