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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/74

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LE MAL DES ARDENTS

se pencha sur son visage ; il portait une blessure au-dessus du sourcil : « Il a dû glisser, se dit-elle, tomber, le front sur l’encoignure du marbre ». Elle le souleva péniblement, l’étendit sur son lit, nettoya la blessure qui lui sembla superficielle et qu’elle baisa longuement : « Quel grand fou ! » se répétait-elle. « Quel grand fou ! » Elle fit une compresse d’eau fraîche qui le ranima ; il ouvrit les yeux, eut pendant une grande minute un air perdu qui la bouleversa, la mit tout de suite, toute affolée, contre lui, de tout son corps, rongée d’une inquiétude sans nom ; et il ne reprit enfin ses sens que pour la posséder, sanglotante d’amour, de remords et de la joie de l’avoir retrouvé.

Elle resta quelques heures dans le flot du bonheur et de l’abandon. Tout était oublié qui n’était pas Bernard. Immense puissance du don corporel ! Une suavité dévalante l’alanguissait ; l’indulgence, la douceur, la tendresse, toutes les émotions et tous les sentiments harmonieux de la plénitude la plus parfaitement comblée, l’envahissaient ; elle n’était plus qu’une créature extasiée et qui désormais s’ignorait mortelle. La bougie éclairait faiblement son divin visage et Bernard se sentit orgueilleux de la voir enfin heureuse : « Tu ne m’en veux pas ? » dit-il. Elle leva la tête suivant le mouvement instinctivement onduleux de son cou, appointa un peu ses lèvres, le contempla sans autre réponse qu’un sourire et laissa tomber le visage sur son épaule. Depuis douze ans elle n’avait connu que les étreintes de François, étreintes brèves de nomade dont elle avait