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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/165

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LE FINANCIER RABEVEL

la tendresse infinie pour cette Angèle de délice et d’amour, la crainte de ne pouvoir les avoir tous deux désormais près de lui, pour lui, à lui seul. Il savait bien qu’il les avait sacrifiés à son ambition de fortune. Pourquoi fallait-il donc que la fortune et l’amour eussent pris pour lui ces deux visages opposés, ne lui eussent offert que ces deux routes inconciliables ?

Tout en remontant les Champs Élysées, il revivait leurs dernières rencontres. Il se rappelait maintenant ce soir si proche encore où il avait vu sa maîtresse pour l’ultime fois. Depuis quelque temps une heure venait chaque jour où il ne savait plus comment il pouvait vivre encore, l’heure à laquelle il avait pris l’habitude de rendre visite à Angèle. Chez la jeune femme, une immense résignation, une piété nouvelle, toute langueur, avaient pris la place du désespoir des premiers jours. Le Père Régard était arrivé par une miraculeuse médication de l’âme à verser peu à peu cette nouvelle douceur sur la vive blessure. Il avait su refréner le néophyte Abraham dont le zèle menaçait de compromettre l’œuvre de salut. « Point d’excès, disait-il ; il faut laisser encore son opium à cette intoxiquée… » Abraham n’avait pas compris d’abord. L’idéalisme farouche et foncier de sa race l’inclinait d’emblée aux solutions extrêmes ; son catholicisme voulait tout de suite être gallicanisme, jansénisme, ultramontanisme, n’importe ! mais il tentait de se dépasser d’une manière définitive, de joindre au-dessus de l’homme il ne savait quel absolu. Le Père Régard souriait avec man-