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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/20

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LE MAL DES ARDENTS

— Vous êtes seul ?… Mais si vous êtes seul, dînez donc avec moi, nous continuerons de causer.

Bernard eut une hésitation imperceptible. Angèle… Mais non, il eût été impardonnable : ce garçon allait lui raconter tout ce qu’il voudrait connaître, c’était clair ; et peut-être apercevrait-il un biais, un chemin pour… pour quoi faire au juste ?… Il ne savait pas bien encore ; mais sous ses yeux, au clair de lune, des vagues et des mâts peuplaient le ciel, et il rêvait d’un grand pavois dominé par un immense pavillon brodé d’un R. Une seconde n’avait point battu qu’il répondit :

— Avec plaisir. Mais c’est moi qui vous invite.

— Mais non, mais non, puisque je…

— Non, j’impose mes conditions, dit-il en riant. Il pensait que Mazelier voudrait rendre la politesse et qu’ainsi il le reverrait et par lui, peut-être, connaîtrait son oncle Bordes… Les événements les plus importants de la vie sont des perles inestimables que relie un misérable fil sans valeur ; il faut pourtant le tisser ce fil si on ne veut pas que le hasard le tresse à sa façon.

Il examina son compagnon. « Il a la lippe gourmande, constata-t-il, ce doit être une fine gueule ». Il dit tout haut : « J’ai entendu parler d’un restaurant du Caneton Fin, est-ce que c’est bien ? »

— Il n’y a pas mieux à Paris, répondit Mazelier avec une moue rieuse qui feignait la délectation, mais c’est une caverne de voleurs.