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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/206

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LE MAL DES ARDENTS

insistante : « J’y suis, j’y suis. » — « Où avais-je la tête, fit enfin Rose illuminée, c’est l’héritier ! » Et elle le quitta, car le cocher s’impatientait ; de la porte, elle lui fit un signe d’adieu et rentra dans la maison. La voiture s’ébranla et il aperçut à travers les persiennes d’une fenêtre la figure du désespoir qui appuyait son front cadavérique sur les lames.

Livré à lui-même dans sa voiture, sans rien qui pût offrir un divertissement à ses pensées, un exutoire à sa révolte contre le destin, il se tenait immobile et rigide comme une momie, au fond du capotage. La grêle et la pluie mêlées, la tourmente de la nature ne dérivaient pas son esprit. Toujours se posaient avec la même rigueur les termes contradictoires du problème de son existence : Pourquoi tout s’opposait-il à l’épanouissement de ses désirs ? Tout : la société, les faits, les caractères, les institutions et même ses désirs eux-mêmes qui s’entredévoraient. Il ricana : « Et dire que j’ai pu croire à l’existence d’un dieu ! » Une irritation contre son impuissance, contre cet ensemble de causes obscures qu’on appelle la Fatalité, l’envahissait. Il sentait s’accumuler les signes intérieurs de ces terribles colères blanches qui le laissaient sans souffle. Pourvu qu’il pût rentrer à Paris ! Sa gorge se serra, il se devinait terreux, le sang fuyant sa face ; tous ses organes internes se serraient ou se dilataient ; une insupportable impression d’éclatement, d’étouffement, de déchirement le gagnait. « Je crois que je vais crever », se dit-il. Il remua vaguement, perdit l’équilibre et tomba sur la route.