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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/40

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LE MAL DES ARDENTS

mots leur paraissaient plats ! Que les héros de l’amour et de l’histoire leur paraissaient petits ! Ils vivaient un rêve éveillé et parlaient le langage de ce rêve. À peine se souvenaient-ils qu’ils étaient en pays civilisé tant ils n’existaient que pour eux-mêmes. Quel prodige les unissait ! Le fantôme de François bien que toujours présent demeurait silencieux. Aucun calcul s’ils en avaient formés, aucun projet s’ils en avaient étudiés, aucun sentiment s’ils en avaient éprouvés, n’existaient plus : rien d’autre que la grande aventure millénaire qui les avait jetés aux bras l’un le l’autre. Ils y voulaient voir l’aveugle dessein des créations futures. Elle les roulait dans son propre destin comme un torrent. À cette heure les circonstances et les créatures humaines s’évanouissaient ; il n’y avait que leur passion. Les lois universelles ne reprendraient leur valeur que plus tard, quand le torrent assagi serait devenu fleuve. Alors seulement pourraient intervenir les souvenirs et les rencontres. Mais en ce moment !…

Un matin, Bernard que le désir du voyage sollicitait, dit à Angèle :

— Si nous partions ?

— Pourquoi ? répondit-elle. Il me semble que je demeurerais toujours ici. Je suis trop heureuse. Pourquoi ne pas laisser couler les jours dans la béatitude ? Regarde donc plutôt le matin qui se lève sur la ville. Quel beau pays ! Et, en effet, par ce mois de janvier exceptionnellement beau, un enchantement nouveau faisait surgir tous les