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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/128

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LE MAL DES ARDENTS

intelligence voulût même se donner la peine de s’appliquer à elle ; il suffisait que son tempérament, sa vraie nature parlât ; cette nature tout à coup retrouvée, infiniment affinée certes, douée de nouvelles vertus de prudence par les années dernières, se représentait sensiblement celle qu’elle était avant le Père Régard ; il sortait d’un terrain d’expérience merveilleux mais qui lui était un désert ; et soudainement il réintégrait son véritable pays. Libre ! il était libre ! Il sourit avec une fatuité joyeuse. Certes, il prévoyait bien des retours offensifs de l’ennemi : l’inquiétude, le scrupule, l’astuce métaphysique, toutes les qualités de perfectionnement et d’humilité chrétienne qu’il s’était attaché à faire naître et à développer en lui ne pouvaient vraiment être ainsi arrachés d’un coup de vent comme des roseaux sans racines. Mais déjà il les sentait languir et se dessécher. De tous les péchés il savait que le plus grave était l’incrédulité et qu’après elle venait la luxure. Il connaissait la seconde maintenant, qui ne l’avait jusqu’à ce jour jamais sollicité de sa serre isolée ; et il suffisait qu’il eût commis son péché pour qu’il se sentît libéré de toutes les contraintes et que la première ne l’effrayât plus. Il sentait affluer sournoisement au seuil de sa conscience, encore masqués et timides, tous ses instincts jusqu’à ce jour refrénés, tous ses goûts de domination, de cruauté, de puissance, d’exaltations ambitieuses et vigilantes, une richesse incommensurable de forces terribles, qui constitueraient un fameux mâle. Il se leva et passa sa journée dans la joie.