Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
LE MAL DES ARDENTS

qu’il connaissait à peu près tous il s’attarda encore un instant cependant que les écoliers achevaient de se placer suivant leurs préférences. Enfin, il gagna la chaire et il se fit peu à peu le silence.

— Je vais, dit-il, mes enfants, vous demander de vous lever l’un après l’autre. Chacun de vous me donnera son nom afin que je grave dans ma mémoire les traits qui répondent à tous ces livrets que m’ont apportés vos parents. Ne soyez pas intimidés et parlez-moi tout bonnement, comme à un ami que vous connaîtriez depuis longtemps.

Une trentaine d’écoliers répondirent d’une voix coupée par l’émotion. Noë fut frappé du nombre de noms étrangers qui blessaient son oreille au passage, Schalom, Hirschbein, Alheibem, Schapiro, Ionah, Mandelé, Pérès, Mocher, Séforim… Et, venue il ne savait d’où, une image de Ghetto médiéval s’imposa à ses yeux puis se dégrada peu à peu pour reprendre les couleurs familières de la rue des Rosiers. Il eut, un instant, le souci de la race et de la patrie ; la calèche de Bansperger, d’une copieuse volée de fange, l’éclaboussa au plus bleu de l’âme : il en ressentit presque une douleur physique. Autour de lui, à voix basse, des personnages en lévite et en caftan parlaient et multipliaient les sourires, les clins d’yeux, précipitaient une mimique inconnue de l’occident.

— Ces gens-là aiment la France, se dit-il pour se rassurer, puisqu’ils viennent y vivre.

Il écouta, mais les étrangers parlaient yddisch.